Nicole Lombard : Un père que j’avais

dimanche 4 juillet 2010, par Marie Miguet-Ollagnier

Éditions du Bon Albert, 2010

Dans Un père que j’avais, Nicole Lombard par l’article indéfini du titre, nous plonge au cœur de la question qu’elle invite les lecteurs à se poser : qui était vraiment ce professeur d’université Didier Charles dont elle est la fille mais qui s’est débarrassé à si bon compte de sa paternité ?

Elle n’a fait sa connaissance, à l’instigation de sa mère (peut-être poussée par son beau-père), qu’une fois devenue étudiante. Au cours des années où, grâce à la seconde femme de Didier, elle s’est un peu intégrée à cette famille, rapprochée de ses frères et notamment du plus jeune, elle ne s’est jamais sentie aimée par son père. Celui-ci, dans le temps où il commençait à perdre la mémoire, disait : « Qui est-ce ? » devant la photo de sa fille. Élu à l’Académie des sciences morales et politiques il entre dans le Who’s who, mais n’y sont mentionnés ni son premier mariage ni l’existence de son aînée.

Nicole évoque de façon vivante une enfance et une adolescence apparemment heureuses entre ses grands-parents, sa mère Jeanne qu’elle admire - et qu’ont profondément estimée ses élèves - son beau-père Antoine plein d’affection, la fratrie nombreuse née du second mariage de Jeanne. Elle grimpe dans des arbres où elle aime lire, elle traverse la guerre sans souffrir de privations grâce à l’ingéniosité de sa mère ; le bain culturel où la plongent sa famille et ses maîtres comblent son attente vive et exigeante. Mais elle se revoit « dans la lune » avec un fond de tristesse et parfois une conduite d’échec : elle fait un poème pendant une épreuve écrite du concours de l’ENS. Un temps lyonnaise, elle rêve sur le confluent, sur les vies de ses parents qui ont si vite divergé ; revient le souvenir de la rencontre avec son père qui a eu lieu sur un pont dominant les eaux tumultueuses du Rhône. Par la suite, qu’il s’agisse de la faute de Didier ou de la sienne, plus jamais de rencontre en tête à tête.

Mais Nicole Lombard s’accroche à quelques raisons d’admirer ce père si fuyant. S’appuyant sur un carnet de souvenirs rédigés par sa mère, sur des témoignages d’étudiants et d’amis de son père, elle se plaît à rêver sur celui qui avait été agrégé à vingt ans, qui avait fait de grandes randonnées cyclistes en Camargue et qui, dans la force de l’âge, avait marché sans chaussettes ni chaussures tout en portant des costumes stricts. Elle s’attendrit sur celui qui en 68 s’est fait chahuter et traiter de mandarin. Surtout quoiqu’elle affirme fortement : « Il n’y a pas d’excuses », elle s’évertue à trouver des atténuations de la responsabilité de son père.

Les parents de Charles et notamment sa mère auraient-ils obligé leur fils au mariage alors qu’à cette époque le célibat avait sa préférence ? C’est l’hypothèse de Vincent, le jeune frère aimé. Jeanne n’a-t-elle pas souhaité garder sa fille pour elle et avoir sur elle tous les droits quitte à endosser toutes les responsabilités ? Le prénom Jean-Didier donné à l’aîné des fils issus du second mariage, ne témoigne-t-il pas d’une fidélité secrète à l’amour de la jeunesse ?

Mais la double photo figurant sur la page de couverture désigne le vrai coupable. Au-dessus d’une petite fille heureuse et souriante, la sévère muraille du Kremlin avec le rouge de ses briques et de son idéologie. C’est elle qui a emprisonné Didier Charles, a cassé un couple qui aurait pu être heureux.