Sandra Vanbremeersch : La dame couchée

vendredi 21 janvier 2022, par Pierre Kobel

Le seuil, 2021

C’est un récit. Celui de 19 ans d’une existence pour accompagner une vieille dame dans son voyage au bout de la vie. La scène se passe à Meudon dans une maison qui est un organisme vivant aussi fatigué que son occupante, Lucette Destouches, la veuve de Céline. Sandra Vanbremeersch, dans ce premier livre, raconte comment un job d’été, alors qu’elle est étudiante, est devenu une réalité à plein temps pour assister l’ancienne danseuse jusqu’à sa fin en 2019, à l’âge de 107 ans.

Une des forces de ce livre est que l’auteure en a fait un roman quand elle aurait pu se tenir à une conventionnelle biographie. En adoptant la plume de la romancière, elle choisit de ne pas s’arrêter aux faits et gestes des personnages, mais d’aller au cœur de ce monde, de cette cour interlope qui joue un ballet théâtralisé autour de ce personnage qui n’en finit plus de vivre. De sa maison, de sa chambre, de son lit, la Veuve règne sur la société qui l’entoure tandis que rôde partout le fantôme de l’écrivain disparu. Existence couchée qui ne l’empêche pas d’exercer un pouvoir de dominante sur ceux qui la servent sous le dehors d’une fantaisie évaporée et d’avoir des exigences incessantes. Mais ce portrait c’est aussi la description aiguë de la vieillesse, d’un corps parcheminé, heurté, parfois brisé, se délabrant peu à peu. La tendresse que Sandra Vanbremeersch éprouve pour elle n’exclut pas la causticité de cette « critique de l’âme humaine » ainsi qu’elle le dit.

Critique qui se retrouve dans la galerie de profils qu’elle dresse de la faune humaine et animale qui fréquente la maison de Meudon. Petits personnels, familiers tel l’avocat « Jack » qui est un personnage de roman à lui seul, visiteurs réguliers ou occasionnels, personnalités illustres ou inconnus, ils passent, le temps de déployer une sociabilité hypocrite. Place aussi aux animaux dont le premier d’entre eux, le perroquet Toto.

Ce jeu de société prend fin avec la mort de Lucette Destouches et on mesure le besoin que l’auteure a eu de combler le vide ressenti après une si longue et éprouvante expérience. Elle l’écrit d’une plume incisive et pertinente qui fait de ce pas de deux vers la mort, un récit particulièrement réussi. Elle traduit la naissance d’un écrivain qui a trouvé sa langue et dont on espère d’autres œuvres à venir.