Souvenir du Chili meurtri, 2 décembre 2023

vendredi 5 janvier 2024, par Isabelle Valeyre

À l’occasion des 50 ans du coup d’État de septembre 1973 au Chili, l’APA a organisé une matinée à la Maison de L’Amérique Latine à Paris, le 2 décembre 2023. Nous étions une centaine réunis à l’auditorium pour assister à la lecture théâtralisée des Carnets de Françoise, journal tenu pendant 111 jours, de septembre 1973 à février 1974, par Françoise de Menthon, femme de l’ambassadeur de France, pour garder trace des événements tragiques et de l’accueil de plus de 600 réfugiés à l’ambassade et à la chancellerie. Notes prises au jour le jour sur l’organisation de la vie collective, la situation des réfugiés, les démarches de l’ambassadeur pour rechercher les disparus, obtenir les sauf-conduits. Bienveillance et compassion de Françoise et Pierre, chrétiens progressistes profondément attachés aux valeurs humanistes. Spectacle très émouvant prolongé par une discussion avec les deux comédiens, Jean Fautrier-Delavigne et Inès de Brossia, petit-fils et petite-fille de Françoise et Pierre de Menthon. Beau moment de transmission familiale !

La matinée s’est poursuivie avec la projection d’un film de Bernard Massip sur son voyage militant et touristique au Chili en août et septembre 1973. Charme du film amateur muet aux couleurs passées qui montre un groupe de militants chevelus visitant les communautés paysannes et témoignant de l’effervescence populaire sous Allende, juste avant le coup d’État ; le film se termine par quelques images sur la répression.

La dernière partie de la matinée a été plus spécifiquement centrée sur l’APA avec l’accueil de deux déposantes nées au Chili. D’abord, Maribel Chenin, répondant aux questions de Bernard Massip, a évoqué son parcours : issue d’une famille de migrants croates et juifs installée au Chili, elle s’est mariée avec un Français à Santiago. En 1976, le couple est venu en France. Elle n’a pas eu à subir directement la dictature. Mais profondément marquée par des récits de détenus, elle a exploré, par l’écriture théâtrale, entre autres, la dimension carcérale et plus précisément la torture, du point de vue du tortionnaire et de la victime. Puis Claudine Krishnan s’est entretenue avec Cassandra Vignon qui a connu une enfance difficile. Après le coup d’État, sa mère est emprisonnée et torturée ainsi qu’une de ses tantes. La fratrie est recueillie par le grand-père maternel, patriarche qui a honte de sa fille et la dénigre. En prison, sa mère se lie avec un révolutionnaire qui deviendra son compagnon. Plus tard, celui-ci abusera de Cassandra. À 9 ans, elle part en France avec sa mère. Devenue sage-femme pour réparer les blessures, Cassandra accompagne des mères qui ont perdu leur bébé. Témoignage bouleversant et lumineux où elle raconte son chemin vers l’écriture advenue quand elle a fait le lien entre la violence de la dictature qui emprisonne, torture, tue et la violence machiste qui abuse des enfants, des femmes. Ce sont les mêmes forces de destruction à l’œuvre. Par l’écriture, elle a pu reconstruire son histoire et trouver les forces créatrices de la résilience.

La matinée s’est achevée par la lecture par Pierre Kobel d’extraits des carnets Gracias a la vida-Réminiscences de Pierre Kalfon, journaliste correspondant du Monde au Chili dans les années 70. Approche complémentaire éclairante qui analyse la situation et raconte ce qu’il a vécu en tant que reporter.

Tous ces témoignages d’engagement personnel, humaniste, militant dans le contexte tragique de la dictature et les nombreux échanges avec les participants ont donné, à cette matinée, une intensité particulière d’émotion chaleureuse et partagée.