Journées de l’autobiographie 2010, Europe et autobiographie

lundi 8 novembre 2010, par Diane Gervais

Strasbourg, juin 2010

Notre amie québécoise Diane Gervais est venue découvrir l’APA à l’occasion de ces Journées et nous a donné ses impressions.

Voyage d’une néophyte aux Journées de l’Autobiographie

Heureuse surprise à l’arrivée : le Centre Saint-Thomas, c’est la campagne à la ville ! Derrière les bâtiments, un grand parc, des allées, des statues, de vieux arbres, des cachettes pour les timides et les adeptes du telefonino.
Voyager au pays de l’APA vous transforme. Vous en revenez avec quelque chose en plus : le sentiment ou l’espoir d’appartenance à une communauté d’esprit. D’emblée ses habitants vous sourient, vous abordent simplement, vous acceptent. Vous rédigez avec plaisir le journal de voyage demandé si gentiment.
Comme toujours, les voyages de ce type-là, ceux préparés avec soin, sont chargés de beaucoup d’attentes. Vous aimeriez tout voir, mais il faut choisir et c’est difficile et vous ne disposez que du samedi et du dimanche. Vous trouvez quelque principe qui vous donne bonne conscience de ne pas faire telle ou telle visite, mais au fond de vous, vous connaissez tout l’arbitraire de certains de vos choix.
Avec regret pour ceux que vous ne visiterez pas, vous privilégiez les ateliers qui posent une question de méthode. Mission oblige : vous devez vous imprégner des manières de faire de l’APA, l’association-mère qui vous servira de modèle au Québec.

Samedi matin, 12 juin 2010
Le croisement des journaux de voyage de quatre cousines ayant fait ensemble le même périple au travers l’Europe vous semble une méthode féconde. Vous choisissez l’atelier de Catherine Viollet : L’Europe en 1840, journaux de jeunes filles russes en français. Laissant entrevoir les non-dits, les subterfuges et les pieux mensonges, le croisement de ces quatre voix, dissonantes à l’occasion, permet l’examen critique du matériau autobiographique ; il révèle la différence des attitudes dans l’acte d’intériorisation et celui du dire. Entre Natalia qui assure écrire « le moindre fait, le moindre événement de cette année si heureuse » et cette autre, plus réticente à se dévoiler, le lecteur peut se hasarder entre les lignes. Fascination devant le dit et regret devant le vaste territoire du non dit serait-il le lot des Apaïstes ?

Samedi après-midi
Partagé entre ses deux cultures, l’écrivain gréco-français Vassili Alexakis jongle autour de la question de l’identité, changeante, multiple, sédimentation au fil de la vie. C’est ainsi que cet écrivain fécond, aussi bien dans une langue que dans l’autre, aime à dire : J’ai une langue pour rire (le français), une langue pour pleurer (le grec) et, déjouant toute tentative de lui « coller » une identité, il soutient avoir les deux langues pour rêver.
Pour cet Européen dans l’âme, la couleur locale n’est rien. La traditionnelle soupe de haricots peut-elle représenter la Grèce, ironise-t-il ?

Samedi, fin d’après-midi
Carte blanche : atelier sur l’identité alsacienne préparé avec soin par Denise Djoulah, née en Alsace, aujourd’hui parisienne après 25 années passées en Algérie.
Denise Djoulah fait écho à la conférence d’Alexakis. Comment cerner l’identité d’une région si complexe, à l’histoire mouvementée et trouble, soumise à tant d’occupations successives qui lui ont laissé trois langues : le français, l’allemand et l’alsacien, aimé ou exécré, et qui marque le français parlé d’intonations dont on a honte. Peut-on la réduire à la choucroute, ou au fameux Schnaps de la chanson allemande des fêtes alsaciennes : Schnaps fut son dernier mot et les anges l’emportèrent ? Là n’est certes, ni le premier, ni le dernier mot de l’impossible définition identitaire de cette région, plaque tournante entre les Francs et les Germains, qui peut se targuer d’être véritablement européenne tant son peuple a été mixé par les invasions diverses depuis la préhistoire.

Samedi soir
Moment intense. Lecture de poésies de l’Alsacien Jean-Paul de Dadelsen par un génial Martin Adamiec à la voix retenue et pourtant si chargée d’émotion. Ces poèmes autobiographiques d’un homme foncièrement religieux, « compréhensif de tout l’humain du haut en bas », disent l’universel dans le moi et le local avec un indéniable accent de vérité.

Dimanche matin,13 juin 2010
Atelier Europe et Maghreb. Simone Aymard et Véronique Leroux-Hugon présentent le dernier né des Cahiers de l’APA,Maghreb et autobiographie Autre variation sur le thème de l’indéfinissable identité, la diariste Anne-Marie Sirocchi-Fournier, née à Tunis, lit à haute voix un extrait évoquant la magie de sa jeunesse passée dans cette ville cosmopolite, ses origines grecque et italienne, le plurilinguisme de sa famille d’origine.
De cet atelier passionnant qui a suscité la discussion et l’enthousiasme, l’on retient surtout la défense et illustration d’une activité nouvelle au sein de l’association, qui consiste à publier dans un numéro spécial des Cahiers de l’APA des extraits d’autobiographies tournant autour d’un thème, ici : Le Maghreb vu sous l’angle de l’enfance, du vécu colonial, de la double culture, etc. Un acte militant ? Controversé du moins. Un participant s’insurge : la sélection d’axes est réductrice ! Elle nie l’extraordinaire richesse et la singularité des destins. Véronique Leroux-Hugon demeure inflexible : les numéros thématiques sont précieux. Ils révèlent avec éclat la richesse du fonds de l’APA et pourraient entraîner de nouveaux dépôts, car l’on sait qu’un événement fort fait naître des vocations à l’autobiographie. Grâce à eux, une plus large diffusion des Cahiers peut s’envisager et changer la dimension de l’APA.

Dimanche après-midi
Archives autobiographiques en Europe. Table ronde rassemblant des participants de cinq pays d’Europe : Italie, Pologne, Finlande, Hongrie, Allemagne. D’où vient l’autobiographie et où s’en va-t-elle ? Chacun des participants expose, pour son pays, l’historique des lieux d’expression de l’intérêt pour la parole des gens ordinaires. Les situations sont diverses et parfois liées à la grande histoire comme en Hongrie, où la collecte d’autobiographies est depuis longtemps le fait de grandes institutions désireuses de se constituer une mémoire.
Une question fiévreusement discutée : Pour ou contre la voie du concours pour susciter les récits autobiographiques ? Arguments contre : le concours risque de provoquer soit un déluge d’envois, soit des écrits de personnes non concernées par le thème du concours comme en Pologne. Le rituel est cruel : beaucoup d’appelés, peu d’élus. Arguments pour : le moi est timide, plusieurs répugnent à écrire leur vie, or le concours autorise. En Italie, où la tradition est solidement établie, l’on reçoit aussi des textes rédigés avant l’appel du concours. Premier critère de jugement : l’authenticité.
Quoi qu’il en soit, de nouveaux centres associatifs ont surgi et surgissent ici et là en Europe, suivant peu ou prou le modèle l’APA, où l’on ne juge pas un texte « mais apprécie la fresque des vies ». Le moment est venu de passer du statut d’archivage des documents au statut patrimonial, dit Philippe Lejeune, l’animateur de cet aréopage.
La Table ronde se prolonge dans l’euphorie, sur le vieux rêve d’une association européenne parapluie. Beaucoup de bruit pour finalement retrouver le cher projet des événements croisés ralliant deux pays autour d’un même thème.

Ces Journées déroulées à l’enseigne de l’identité et de l’Europe ont fait éclater l’esprit de l’APA, simplement amoureuse de la vie qui émerge des écrits autobiographiques. Être Apaïste, c’est une manière en plus de vivre sa vie, une forme particulière d’attention à soi, par l’écriture autobiographique, et d’attention aux autres, par la lecture passionnée et respectueuse des récits déposés à la bibliothèque de La Grenette.

Pour ceux qui pouvaient rester le lundi était organisée une visite du DTA Deustches Tagebucharchiv à Emmendigen, l’association correspondante de l’APA en Allemagne. Belle façon de prolonger l’esprit très international de ces Journées.

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