Journées de l’Autobiographie 2012 : Tricentenaire de Rousseau

vendredi 15 juin 2012, par Diane Gervais

Genève, mai 2012

C’est notre amie québécoise Diane Gervais, animatrice de notre association sœur au Québec, les Archives Passe-Mémoire, qui nous donne cette année son regard sur nos Journées.

On pourra également voir un reportage photographique sur les Journées et ses à côtés touristiques et conviviaux et lire la version intégrale de la conférence de Philippe Lejeune.

Coup d’œil sur la rencontre de Genève

Les 25, 26 et 27 mai 2012, les Journées de l’autobiographie fêtaient deux anniversaires : celui du tricentenaire de la naissance du père de l’autobiographie moderne, Jean-Jacques Rousseau, et les vingt ans de l’APA, l’association plus que française – francophone, dirions-nous – pour l’autobiographie. Depuis 1992, la passion de l’APA pour les écrits intimes ne s’est pas démentie et c’est au groupe de Genève que revenait en tout honneur cette année d’accueillir et d’organiser ces Journées historiques. L’organisation sans faute d’Huguette Junod et de son équipe offrait la cuisine inventive du CEFAM, une association pour l’intégration des femmes migrantes de Meyrin, près de Genève.

Sous ces bons augures, s’engageait ce parcours sur les traces de Rousseau dans la ville même qui a entretenu avec son grand homme des relations si complexes. Le Plainpalais, remarquable bâtiment du XIXe siècle accueillait toutes les activités du programme, sauf celles extérieures qui permettaient de retrouver Rousseau par l’imagination dans les lieux qui l’ont connu et qui en en font revivre le souvenir : sa maison, l’atelier de son apprentissage d’horloger, les rues qui parlent de lui sur leurs murs.

Philippe Lejeune en conférence soutient que si Rousseau n’a pas inventé l’autobiographie, en revanche il a reconfiguré le genre : « L’écriture des Confessions est un acte d’une grande audace, qui fut réellement, dans l’histoire, une rupture, immédiatement perceptible par les contemporains. » En fait foi la véhémence de ses détracteurs. « Où en serions-nous, disait l’un d’eux, si chacun s’arrogeait le droit d’écrire et de faire imprimer tous les faits qui l’intéressent personnellement et qu’il aime à se rappeler ? ». « Où en serions-nous ? dit Lejeune, Nous en serions… là où nous en sommes aujourd’hui, où d’autres critiques continuent malgré tout à disqualifier comme insignifiantes les histoires de vie. »

Lejeune déroule le fil de sa pensée autour de cet axe qu’est l’incontestable révolution de cet homme qui a étalé son moi « extravagant », cherchant « non pas à être bon », à l’exemple de son auguste prédécesseur, « mais à être vrai » pour « comprendre ce qui lui est arrivé et ce qu’est une vie humaine. » Je ne puis qu’engager à lire sur la toile l’étonnant plaidoyer de Lejeune en faveur de celui qui a osé écrire : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. »

Insignifiantes les Confessions  ? D’où vient alors, deux cent trente ans après leur publication, la magie de l’interprétation des deux premiers livres, de William della Rocca, sur la scène du Plainpalais ? N’est-ce pas la langue si belle de Rousseau qui nous fut restituée par-delà le temps ? Il nous semblait à nous, spectateurs médusés, que c’était Rousseau lui-même qui nous livrait en confidence le récit de sa vie. Le ton était si simple, si naturel, sans distance aucune avec le texte. William della Rocca disait Rousseau, incarnait Rousseau racontant sa naissance qui marqua sa vie sous le signe du malheur, son enfance, ses lectures précoces, sa relation à son père, son apprentissage d’horloger, ses déboires, ses fuites, ses bizarres engouements amoureux, tout ce qui fait une vie d’homme pas tout à fait ordinaire.

Sous les combles du Plainpalais, dans un atelier aussi passionnant qu’animé, Marie-Hélène Roques prenait prétexte de la Cinquième promenade des Rêveries du promeneur solitaire pour nous entraîner dans une réflexion sur les évocations du paradis dans l’art et la littérature de tous les temps de notre histoire. Rousseau avait pour paradis son refuge de l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne. En ce jardin clos, luxuriant et ouvert à la folle du logis, il pouvait rêver tout à son aise comme se livrer à sa passion de botaniste. Là, Rousseau nommait le monde, remettant de l’ordre dans la confusion végétale. De ses minutieuses et systématiques observations de la nature, il a tiré quelques-unes de ses leçons sociales : « C’est ainsi que la puissance du faible est toujours employée au profit du puissant », écrivait-il à propos des deux îles du bassin, la grande exigeant la terre de la petite pour réparer les dégâts occasionnés par les vagues et les orages.

Dieu sait si les femmes ne furent pas oubliées en ces Journées, même si Rousseau porta sur elles des jugements que renient aujourd’hui tout homme ou toute femme de cœur. Voilà un acquis de civilisation qui n’est pas la faute à Rousseau. Proposer comme sujet de réflexion un mémorialiste du passé a permis aux participants de notre rencontre de réfléchir sur le sens à long terme du témoignage hic et nunc de l’écrit privé.