Écrire la maladie pour lutter et pour comprendre

jeudi 15 décembre 2016, par Catherine Merlin

Matinée du Journal du 3 décembre 2016 : présentation du Cahier de l’APA, : "Écrire la maladie"

Le fonds de l’APA contient de nombreux témoignages sur la maladie, rédigés par les malades, leurs proches, les soignants, sous des formes d’écriture variées : journaux tenus plus ou moins régulièrement, chroniques ou évocations a posteriori, récits d’une vie de maladie ou d’un épisode marquant.

Un groupe composé de Monique Arrighi, Claude Delachet-Guillon, Claudine Krishnan, Véronique Leroux-Hugon et Françoise Lott s’est constitué pour relire la centaine de textes déposés et élaborer un cahier intitulé Écrire la maladie , paru au printemps 2016. Préfacé par Catherine Tourette-Turgis, il présente un choix d’extraits ordonnés en cinq chapitres et mentionne, sous forme de courtes notices, l’ensemble de ces textes. Ceux-ci reflètent les approches multiples des auteurs qui retracent l’apparition, l’évolution, voire le sens de leurs maux, et par l’écriture prennent en main leur maladie. Voir la page de présentation et le bon de commande du Cahier

Lors de la matinée du 3 décembre, trois des rédactrices du cahier, Monique Arrighi, Claudine Krishnan et Véronique Leroux-Hugon ont présenté leur travail, accompagnées d’une observatrice extérieure, Silvia Rossi, auteur entre autres d’une thèse de doctorat en études italiennes soutenue à Nanterre en 2015-2016 et intitulée « Écrire le cancer. L’entrée en littérature de l’auto-pathographie : le cas italien ». Véronique Leroux-Hugon a donné une vue d’ensemble du cahier et Claudine Krishnan a présenté plus spécifiquement le chapitre intitulé troubles mentaux, rédigé avec Françoise Lott. La présentation a été animée par la lecture de nombreux extraits du cahier, lus par Monique Arrighi.

« Nous avons, entre autres objectifs, entrepris ce projet de longue haleine dans une perspective de reconnaissance du savoir des malades, moins un savoir scientifique sur leur maladie, que les acquis de ces expériences au long cours, et notamment ceux qu’ils ont transmis par l’écriture autobiographique », indique Véronique Leroux-Hugon. Expliquant les difficultés de ce travail qui a demandé cinq années – délimitation du sujet, définition de la maladie, choix d’une classification des pathologies… – elle a conclu : « C’est peut-être la métaphore du voyage à travers la maladie qui nous a guidées, en fonction aussi de nombreux textes ainsi titrés, et ce sont les étapes de ce voyage, de l’annonce au questionnement final, que nous avons tenté de retracer. »

L’approche des troubles mentaux à partir du fonds de l’APA, évoquée par Claudine Krishnan, couvre toutes sortes de pathologies allant de diverses formes de la dépression à des troubles mortels. Ce sont notamment les troubles de l’alimentation, évoqués dans une douzaine de textes, qui révèlent le mieux les liens entre le corps et l’esprit. Il s’agit parfois de boulimie, mais surtout d’anorexie. L’anorexie mentale, qui met les corps en péril, est une maladie mystérieuse, aux symptômes effrayants, et qui pose de nombreuses questions sur la famille, la société, le passage à l’âge adulte, les limites du savoir et du pouvoir médical. Une particularité de cette maladie est que les patient(e)s consentent rarement aux traitements, veulent garder la maîtrise, le contrôle illusoire sur leur corps. Le rapport à l’écriture apparaît aussi comme spécifique dans ce type de situation et s’inscrit dans une volonté de comprendre, de s’expliquer et d’expliquer, de chercher dans l’enfance les causes du mal, de se défendre et sans doute de trouver un espace d’expression, d’existence, peut-être de salut.

Le nombre de personnes qui décident de partager leur expérience de la maladie par l’écrit est de plus en plus élevé, observe Silvia Rossi, qui a donné à ce concept dans sa thèse le nom d’auto-pathographie. L’annonce d’une maladie grave représente pour les patients une fracture dans leur biographie, mais aussi une invitation à la narration, une phase à écrire en suivant le temps de la maladie. A part les éléments purement physiologiques, ils évoquent souvent leur sentiment d’exclusion, leur perte d’identité. La fonction de ce témoignage pour la personne malade peut avoir une valeur thérapeutique, celle d’une recherche de sens, éventuellement celle d’une pédagogie de la souffrance. Un volet important dans l’étude de ces écrits, souligne Silvia Rossi, consiste à identifier le langage utilisé : nous avons déjà vu la métaphore du voyage, celles de la guerre et des combats sont aussi fréquentes. Silvia Rossi se réfère aux travaux de Rita Sharon , fondatrice de la « médecine narrative », et à la volonté d’ « honorer le discours des malades » : pour elle, ce cahier en est un exemple.

Signalons que Silvia Rossi anime maintenant la plate-forme collaborative Cancer Contribution qui réunit les acteurs concernés par le cancer (patients, médecins, responsables politiques, monde associatif, citoyens). Chacun, avec son expertise, participe à la construction d’une nouvelle vision autour de la maladie et de ses impacts sur la société, qui sera la base de propositions politiques et d’élaboration de pratiques professionnelles. L’objectif est double : regrouper une communauté d’experts différents et complémentaires, construire ensemble des pistes de réflexion et proposer des solutions pour l’amélioration du système de santé et de la prise en charge des malades.