Le journal de Virginia Woolf 

samedi 31 mai 2008, par Élisabeth Cépède

Qui a peur de Virginia Woolf ? ironisa Gilles Alvarez, le samedi 17 mai, pour lancer la Table ronde. « C’est pas nous, c’est pas nous ! » semblait répondre le public nombreux, très largement féminin !

Dans sa courte présentation, l’animateur insista sur le caractère difficile, la langue assassine, les commérages redoutables de la romancière londonienne, évoquant aussi l’ombre de la folie et de la mort qui pesait sur son génie. Provocation stimulante qui déclencha chez Frédérique Amselle, la jeune, jolie et brillante conférencière, un juste désir de prendre la défense de l’accusée. Pleine de son sujet, elle rappela les principaux événements dramatiques de la vie des jeunes Stephen, nés du second mariage de leur père. Une famille reconstituée, avec les difficultés relationnelles que cela entraîne parfois. Échange des rôles dans la fratrie, la sœur aînée devenant substitut de la mère, les demi-frères prenant une place exorbitante. Des morts nombreuses jalonnent la vie de la jeune fille, après la mère : sœur, frère, père. Le Journal insiste sur les longues heures de solitude angoissantes d’une jeune fille qui, se vouant à l’écriture, n’est inscrite à aucune école et fait son éducation à la maison, essentiellement grâce à la bibliothèque paternelle. Sa sœur Vanessa trouvait, elle, un peu d’oxygène en suivant les cours des Beaux-Arts. Pour Virginia, beaucoup trop de malheurs et pas assez de plaisirs dans la première partie de sa vie.

Frédérique Amselle fit circuler dans l’assistance des photocopies de pages du Journal montrant l’organisation de l’écriture. Miss Stephen la souhaitait quotidienne et en fixait à l’avance le calendrier sur les cahiers. Certaines pages restent donc blanches quand il lui a été impossible d’écrire. La diariste rattrape alors le temps perdu en faisant le récit rétrospectif de ses activités. D’où pour les éditeurs, une difficulté à dater les entrées et des variations dans les différentes publications. Peu importe, l’intérêt du Journal est ailleurs, dans ces scènes vivantes et colorées, qui rendent compte de la vie sociale à Londres au temps de sa prime jeunesse puis dans le cercle des Bloomsberians. Dans les portraits, aussi, parfois au vitriol, des artistes et intellectuels qui fréquentaient le salon des Stephen. Ces pages manuscrites permirent aussi de suivre – dans la matérialité de la graphie, son parcours parfois incohérent sur la page – les traces de sa difficulté d’être. Pas de chance pour une nature fragile de traverser une période de l’histoire particulièrement menaçante, de 1920 à 1939 jusqu’à l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale. Les bombardements la terrorisaient. Elle redoutait la persécution de son mari juif. Le couple avait même décidé de se suicider ensemble si le danger se rapprochait.

Il est évident que le Journal a été le laboratoire de l’œuvre romanesque de l’artiste. De l’adolescence à l’âge adulte, au fil des jours elle a réfléchi à la composition de ses romans et traversé de douloureuses périodes de doute. Le lecteur suit les affres d’une création exigeante. Les périodes qui suivent la publication sonnent comme des dépressions post-partum.

La dualité de la romancière, soulignée par Gilles Alvarez, se trouva quelque peu gommée par la véhémence d’une chercheuse passionnée qui répéta plusieurs fois « je suis folle du Journal d’adolescence ». Cette joute de bon ton a tenu l’auditoire en haleine. Nul doute que, cet été, nous serons nombreux à lire ou relire l’œuvre de Virginia Woolf.

Après une courte pause, Philippe Lejeune, sous la forme de ces causeries intimes qu’il affectionne, décrivit l’état d’un travail en cours qui aboutira à un ouvrage intitulé Comment le journal est devenu personnel (France 1750-1815). Le livre sera un recueil de recherches (dont certains textes sont déjà mis en ligne sur le site « Autopacte.org »). L’auteur nous a mis l’eau à la bouche, avec des extraits des cahiers de cinq diaristes inconnus, découverts dans diverses archives régionales et qui sont à l’origine de son désir de compléter l’histoire du Journal en France. On a envie d’en savoir plus sur Louis-François Guiguer, baron de Prangins, sur Magdalena Van Schinne, Pierre-Philippe Candy, notaire dauphinois, Hyacinthe Azaïs et Cécile Coquebert de Montbret. À suivre...