Les journaux de Jean Donostia

lundi 30 mai 2011, par Bernard Massip

De Jean Donostia, je n’avais lu que très peu de choses, quelques extraits seulement des carnets qu’il avait lui même déposés à l’APA à la fin de sa vie. J’y avais vu surtout les récriminations d’un vieux monsieur aigri, écrivain incompris, misanthrope et misogyne, ressassant sa hargne contre le monde et contre lui-même, bref un de ces « professeurs de désespoir », comme les appelle Nancy Huston, et dont la fréquentation n’est pas ma tasse de thé !

Je savais que l’APA avait reçu après la mort de Donostia et grâce à la diligence de Gérard Lafforgue, son exécuteur testamentaire, un important fonds de manuscrits, de journaux, de correspondances, tout ceci constituant la plus grande partie d’une œuvre restée pour l’essentiel non publiée. Et je savais aussi qu’un petit groupe d’apaïstes s’était lancé dans l’exploration, la lecture et la transcription de ce fonds. C’est donc avec curiosité mais non sans une certaine méfiance que je me suis rendu à la Matinée du Journal de ce samedi 7 mai 2011, où ce groupe rendait compte de ses découvertes.

Pour commencer, Philippe Lejeune a donné quelques repères biographiques. Il nous a décrit l’enfance et la jeunesse de l’auteur dans une configuration familiale atypique et mortifère entre une mère célibataire et son amie, « Tante Marion », à la forte et envahissante personnalité. Il nous a présenté le peu que l’on sait de sa vie d’adulte, sans cadre professionnel ou familial structurant, un peu journaliste, un peu photographe, un peu écrivain, riche de talents divers, mais marquée aussi par des conduites d’échecs à répétition et par l’amertume de ne pas parvenir à être reconnu comme écrivain.

Gilles Alvarez a commenté les carnets de « Tante Marion », le journal que celle-ci a tenu entre 1920 et 1932, pendant les années où Jean et sa mère vivaient chez elle, et où elle a pris en charge avec autorité l’éducation du jeune homme. Au moment où elle s’est définitivement éloignée, elle a laissé ses carnets à la mère de Jean qui les a retrouvés après le décès de celle-ci.

Leur lecture est d’autant plus intéressante que l’un des principaux textes autobiographiques de Donostia, 50 rue de Combray, qu’Élisabeth Cépède nous a ensuite présenté et qui évoque, sous le signe de Proust, la jeunesse de l’auteur à Orléans entre sa mère et sa tante, est construit sous forme d’un journal de lecture des carnets retrouvés de Tante Marion.

Enfin, pour compléter, Simone Aymard nous a fait découvrir l’important corpus des journaux de Donostia avant que Claudine Krishnan ne s’attache plus particulièrement au journal de voyage en Amérique.

De nombreux extraits lus ont permis de se régaler du style souvent percutant de l’auteur, très à l’aise dans la forme brève, parfois proche de l’aphorisme, de percevoir et de goûter son humour décapant, élégance du désespoir. Voir et toucher les manuscrits que notre petite équipe d’explorateurs avait apportés avec elle, contempler les photos prises par Donostia, certaines remarquables, a encore accru l’impression de nous approcher, un peu, de cette personnalité tourmentée, nous la rendant finalement attachante. Des textes qui, isolés, pouvaient susciter l’antipathie, s’éclairent à la lumière d’un parcours de vie difficile, des traumatismes de l’enfance et de l’adolescence, on comprend d’où vient la douleur, notre perception s’inverse, la lecture en sympathie devient possible.

Désormais j’ai envie de lire Jean Donostia !

Lire aussi la chronique de Philippe Lejeune : « Donostia diariste »,La Faute à Rousseau, n°56, p 57