Table ronde de mars 2009 : Intime, privé, public

lundi 30 mars 2009, par Anne Poiré

Comment s’articulent l’intime, le privé et le public, quels rapports entretiennent-ils entre eux, en fonction des lieux et des époques, des situations personnelles et de la façon dont chacun se positionne à l’égard de ces trois instances ?
À l’heure ou les sphères privée et publique sont de moins en moins séparées,qu’en est-il de l’intime lui-même, de l’identité, et de la liberté d’exister, d’écrire sa singularité, à l’abri du regard des autres ?
De la confession, de l’autobiographie à l’autofiction, en passant par le journal et le blog, comment échapper à la confusion des genres ? Comment s’y retrouver et ne pas s’y perdre ?
C’est autour de ces questions que s’est tenue notre Table ronde du 14 mars 2009

Vous en trouverez des comptes rendus en ligne dans les blogs
Alter Ego
Les échos de Valclair

Vous trouverez également sur le blog de Valclair le texte intégral de son intervention .

Et vous pouvez lire ci-dessous le compte-rendu d’ambiance que nous en a donné Anne Poiré-Guallino :

Affronter le regard des autres

La Table Ronde était animée par Gilles Alvarez, dont j’ai appris juste avant le début des festivités, qu’il revenait de loin OUF – est-ce une information intime, à ne pas rendre publique ? Pourtant ses amis de l’APA souhaiteraient sans doute comme moi-même en être tenus informés, non ? Le trac lui donnait une mine fatiguée, au départ, chiffonnée. J’ai cru que c’était sa santé. Pas du tout : brillant, savant, drôle, il a su nous séduire et présenter avec talent chacun des invités présents et à la fin, une fois l’appréhension passée, il avait retrouvé ses couleurs.

Avant le démarrage de l’après-midi s’accumulent retrouvailles, embrassades, paroles chaleureuses et serrements de main. Je m’installe avec Patrick, je parle avec les amis à portée de sourire, et je découvre une femme, sur ma droite, seule. Je ne vais pas la laisser ainsi, tout de même ! Je m’adresse aussitôt à elle, pour qu’elle ne se sente pas isolée : "Nouvelle Apaïste ?" "Non." Je souris, surprise : "Et vous êtes là... ???", juste assez d’interrogation dans le ton pour qu’elle me réponde avec un grand sourire : "Je suis blogueuse, je viens là pour Valclair..." Mes conversations amicales reprennent, devant, derrière, je m’agite. L’heure approche. Je regarde la table et constate soudain que quelqu’un que je connais bien, de l’APA, est assis devant le carton indiquant l’identité du blogueur. Tiens, que fait-il à cet endroit ? Mon cerveau ne percute nullement. Je me demande simplement pourquoi il s’est installé là... Je me penche vers la personne qui se trouve toujours à ma droite et lui demande, "S’il vous plaît... Vous connaissez Valclair ?" "Oui." "Vous savez à quoi il ressemble." "Oui." "Pourriez-vous me montrer qui c’est ?" Interloquée, elle hausse légèrement les épaules et me regarde comme si j’étais une demeurée. "Bien sûr. Eh bien... il est à sa place, devant son nom !" "Ahhhhhhhhhhhh !" Je me vois encore, la bouche ouverte. Levée d’identité, juste avant le lever de rideau. (Et la chute du nom : cet Apaïste, d’un geste malencontreux, fera choir le carton placé devant lui, geste symbolique s’il en est.)

Mais revenons à notre journée. La salle était comble, toutes générations confondues : grand succès pour cette Table Ronde.

C’est Michelle Perrot qui a ouvert le bal, entrebâillant pour nous les portes de la chambre, en historienne proche de l’APA, sensible à l’articulation entre intime, privé et public, ne dévoilant de son ouvrage à paraître que de quoi nous donner envie de la lire, dans quelques mois.

Puis la parole a été donnée à Marie Chaix. Quelle rencontre, forte, puissante. Une femme qui ose écrire que son père était un collaborateur, et soulever le voile de cette histoire douloureuse, une femme qui ose affronter le regard des autres, sans masque, qui ose dire ce qu’elle pense, non seulement dans ses écrits, mais là, aussi, rue d’Ulm. Voilà une personnalité assez rare !

Enfin les deux intervenants masculins ont pu nous entretenir. Philippe Vilain à la fois de son rapport à l’autofiction, à la confusion volontaire des genres, et à A. E., pour ne pas nommer Annie Ernaux, dans leurs deux livres respectifs.

Puis Valclair a pris la parole pour évoquer cette prise de risque, cette aventure du journal en ligne, et du plaisir, du bonheur qu’il a ainsi trouvé. Certes, je l’ai déjà écrit, il avait – par pure inadvertance – fait basculer son identité, en renversant le carton indiquant « Valclair », mais il ne semble pas s’être pour autant perdu en route, il nous a offert son texte avec tonus, il était vivant, drôle, émouvant, répondant ensuite avec vivacité, dans la deuxième partie, aux questionnements du public. Françoise B.-J. s’est régalée à lui faire savoir, d’ailleurs, que non seulement elle le lisait depuis longtemps, mais qu’elle avait deviné qui il était.

Les interventions ont été écoutées avec intérêt, le débat qui a suivi était nourri. Jamais je ne regrette le déplacement, pour les journées de l’APA. Un peu comme en juin dernier, à Marly. J’y avais entendu Pauline Piquet. Certains se souviennent probablement de cette femme au visage totalement brûlé par un accident de voiture. Elle est depuis décédée, et je suis vraiment heureuse d’avoir pu l’apprécier lors de son ultime Carte Blanche. Ce sera l’un des grands moments de notre vie, à tous. Privilégiés, ceux qui ont assisté à la présentation de ses rêves. C’était tellement fort que jamais je ne l’oublierai et je me dis que ce moment très intime, très privé, finalement, que nous avons partagé, aurait mérité d’être rendu public.

À l’heure où les sphères privées et publiques sont de moins en moins séparées, comment s’y retrouver, nous demandait-on, pour lancer le débat ? Facile : lorsque les tripes sont au rendez-vous, pas de souci, l’essentiel est là. Celui qui m’a suggéré d’écrire un petit compte-rendu de cet après-midi parisien m’a tout de même censurée, insistant : « pas trop émaillé de superlatifs (si, si je sais que tu te laisses parfois emporter par tes enthousiasmes) ». Tant pis, j’en laisse, je ne sais pas respirer autrement. C’est ma voix, ma façon de vivre, aussi.

Vous retrouverez les diverses interventions de la table ronde ainsi que de nombreux articles dans le dossier intime, privé, public du n° 51 de La Faute à Rousseau.