Table ronde de mars 2023 : l’intime revisité

samedi 15 avril 2023, par Élizabeth Legros Chapuis

Depuis vingt ou trente ans, la notion d’intime et d’intimité a connu une évolution considérable, du fait de l’avènement d’Internet, des nouveaux outils numériques, des réseaux sociaux. Le propos de cette table ronde était donc être de tenter d’établir une nouvelle définition de l’intime, d’examiner ce qu’a apporté le passage de l’intime à l’extime, de considérer les effets en retour de cette évolution sur l’écriture de soi.

Trois intervenants ont donné des éclairages à ce sujet selon des angles différents :

Philippe Artières, historien, a récemment publié un ouvrage intitulé Histoire de l’intime (CNRS Edition, 2022) où il retrace d’abord la naissance de l’espace privé, un fait relativement récent (18e siècle), et son développement suivant l’essor du mode de vie bourgeois. Pendant deux siècles, l’intime n’a pas cessé de se déplacer et de prendre de nouvelles formes. De nos jour, on navigue continuellement entre l’intime et l’extime, cette part d’intimité rendue volontairement visible. L’historien envisage alors l’extimité comme une forme de résistance contre l’ordre établi, où l’individu se définit dans l’adhésion à une communauté de son choix. Ce n’est plus un JE qui revendique des droits, mais un NOUS qui se traduit également par l’apparition de formes d’écriture partagée. Dans ce contexte, l’intime lui semble désormais appartenir au passé.

Serena Ciranna, docteur en philosophie, a récemment soutenu à l’EHESS sa thèse intitulée « L’autre moi numérique : l’impact des réseaux sociaux sur le récit de soi ». dont on peut lire un résumé sur ce lien : "L’autre moi numérique
Elle constate que l’émergence des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle (IA) conduit à des manières différentes d’explorer et d’exploiter les récits de soi. Cela passe par le dévoilement volontaire de la vie privée mais aussi l’analyse des données personnelles qui échappe à la conscience et au contrôle des individus. D’où une remise en question du récit de vie exigeant jusqu’ici continuité et cohérence : on a désormais des récits courts, fragmentaires, éphémères. L’intime reste une notion difficile à définir et proche du concept même d’identité. L’idée d’évasion de l’intime dans l’espace social, de partage et d’exposition de soi, devient un point central. Cela ne va pas sans risques, du fait du pouvoir des autres usagers sur nos traces numériques.

Sandrine Tolotti est à l’origine de la création du site et de la newsletter L’Intimiste, un média participatif qui rassemble environ 5000 lecteurs. Elle plaide pour l’introduction de l’intime comme moyen légitime d’information dans les médias : il faut y accueillir des « récits par l’intériorité ». La vie privée des autres, estime-t-elle, nous concerne parce que nous avons en commun des aspects universels qui constituent de l’humain à l’état pur. « Nous n’avons que notre histoire et elle n’est pas à nous », a écrit José Ortega y Gasset. Il s’agit aussi d’une source majeure de lien social, permettant de construire avec des inconnus une proximité affective.

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Grâce au travail de notre vidéaste maison Martine Bousquet, vous pouvez retrouver ici l’intégralité des communications ainsi que la discussion avec la salle :

Introduction de Pierre Kobel et intervention de Philippe Artières
https://youtu.be/QD_RUet3a44

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Intervention de Serena Ciranna
https://youtu.be/1_3RhbmyZXw

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Intervention de Sandrine Tolotti et discussion avec la salle
https://youtu.be/U53mCo_4O0E