L’APA des deux côtés du Rhin
Le soleil est au rendez-vous (et il restera bien actif) lorsque nous arrivons à Strasbourg pour ces 23e Journées de l’Autobiographie, consacrées, en cette année de centenaire, au thème « Écrire sa guerre : 1914-1918 ». Elles sont organisées en coopération avec nos homologues du
Deutsches Tagebucharchiv (DTA) et se passent donc sur les deux bords du Rhin, à Strasbourg et à Emmendingen.

Vendredi 6 juin
Nous prenons nos quartiers au Centre Saint-Thomas ; situé dans le quartier de la Robertsau, c’était à l’origine (1683) la résidence de campagne des séminaristes strasbourgeois et de leurs professeurs jésuites. C’est aujourd’hui un lieu d’accueil dont les bâtiments sont entourés par un magnifique parc. Certains Apaïstes ont même vu au fond du parc quelques biches point trop farouches ! Presque tous, en tout cas, ont pu y goûter les cerises en direct, si j’ose dire, de l’arbre.
Après le dîner, présentation du programme des Journées, suivie d’une soirée « La Grande Guerre en textes et en chansons ». Des extraits des textes déposés à l’APA (et qui ont notamment alimenté le
Cahier APA n° 59 « Écrire sa guerre : 1914-1918 ») sont lus par Roseline Combroux, Anne-Liz Drouot et ses élèves, Gérald Cahen et Marie Hélène Roques. Ils évoquent la vie au front, la solidarité entre les combattants, mais aussi la vie des prisonniers et des civils. Textes souvent émouvants comme le récit de cette tentative de fraternisation qui tourne mal, sous la plume de Germain Lacombe. Les lectures sont ponctuées par des chansons de l’époque interprétées a cappella par Sylvette Dupuy.

Samedi 7 juin
La journée démarre tôt car nous allons en autocar à Emmendingen, qui se trouve en Forêt-Noire à environ 70 km de Strasbourg. Franchissant le Rhin à Eschau par le pont Pierre-Pflimlin, nous traversons ensuite à pied la petite ville d’Emmendingen pour nous rendre à l’hôtel de ville où nous serons accueillis par le maire Stefan Schlatterer et l’équipe du DTA, sous l’égide de sa présidente Frauke von Troschke. Rues piétonnières bien fleuries, ruisseau, maisons anciennes à colombages... mais l’hôtel de ville est un bâtiment moderne et fort bien conçu.
La matinée est consacrée à la présentation des activités du DTA (qui a publié lui aussi un recueil des textes de son fonds portant sur la 1e Guerre Mondiale, Verborgene Chronik 1914 – éd. Galiani, Berlin), mais aussi de l’association belge APA-AML (par Francine Meurice) et de l’association italienne, doyenne de toutes, Archivio Diaristico Nazionale de Pieve San Stefano (par Stéphanie Risse). Nous avons ensuite l’occasion de visiter les locaux du DTA qui est hébergé dans l’ancien hôtel de ville. Il dispose de 200 m2 de bureaux et d’une salle pour l’accueil des chercheurs. Des vitrines sur les paliers et dans les couloirs abritent des lettres, carnets et souvenirs divers.
L’après-midi, dans la belle salle de réunion de l’hôtel de ville, nous écoutons les exposés de deux historiens, Gerhard Hirschfeld et Rémy Cazals. Le Pr Hirschfeld analyse les conséquences, pour le travail des historiens, des nouvelles méthodes s’intéressant à l’histoire du quotidien et leur impact sur l’histoire de la 1ère Guerre Mondiale. L’analyse de sources telles que les journaux personnels, lettres, photos et journaux du front, est décisive pour l’étude du quotidien de la guerre, des mentalités et des expériences vécues par les hommes. « Avant tout, la redécouverte, en tant que sources historiques, des lettres de soldats, que l’on considérait encore récemment comme peu sûres, s’est révélée une base d’information essentielle. »
Même intérêt pour les questions de méthode chez le Pr Cazals, qui approche les témoignages de 1914-1918 avec le regard de l’archéologue moderne : c’est-à-dire en s’intéressant aux moindres objets de la vie quotidienne, « du château à la chaumière », et en les situant dans leur contexte. La parution récente du livre 500 Témoins de la Grande Guerre illustre cette approche, car la moitié des témoignages qui y sont recensés provient de personnes des catégories populaires. Le Pr Cazals soulève également la question de la valorisation de ces documents et du choix des textes destinés à la publication. « S’en tenir aux récits les plus spectaculaires, les plus originaux, les mieux écrits fausserait le regard sur une période qui fut complexe et qui suscita des situations extrêmement diverses. »
De retour à Strasbourg, nous suivons après le dîner une série de « cartes blanches », moments où les Apaïstes proposent des exposés informels : par exemple Stanislava Hensens sur les lettres de Marguerite Volker à son père, interné dans un camp de travail de 1916 à 1918 ; Annette Wittersheim sur l’expérience de son père qui a écrit son journal des tranchées, puis enregistré le récit de sa ‘désertion’ de l’armée allemande en juin 1918 ; ou encore Christian Zimmermann, qui a évoqué les récits d’une famille alsacienne dans la guerre 1914-1918.
La soirée s’achève avec la projection du film de Marie-Hélène Roques et Isabelle Millé, Passeurs de mémoire (cf. l’article d’Élisabeth Cépède, FAR n°65, p. 66). Il ne s’agit pas là de souvenirs de la 1ère Guerre Mondiale mais de ceux d’autres événements tragiques, ceux des prisonniers des camps de concentration, des réfugiés ayant fui la guerre d’Espagne, des combattants de la guerre d’Algérie. La médiation de Marie Hélène Roques a permis à tous ces témoins portant un passé douloureux de franchir la barrière du silence que bien souvent ils s’étaient imposé.

Dimanche 8 juin
La matinée commence avec la présentation par Claudine Krishnan du cahier APA Écrire sa guerre : 1914-1918 et du travail effectué, pour le publier, par un groupe de huit personnes qui s’est constitué en 2011. Le cahier comprend des archives françaises, allemandes, belges et italiennes ; il est divisé en trois sections : journaux, correspondances, récits, et il comporte également une série de notices sur les textes de la 1ère Guerre Mondiale déposés à l’APA.
Nous nous dispersons ensuite pour suivre chacun l’atelier de son choix. J’assiste à celui donné par Philippe Tomasetti sur le thème « Vers une école de l’autobiographie : l’exemple des chroniques scolaires en Alsace-Moselle, 1893-2014 ». Instaurées en 1893 par un décret de l’empereur Guillaume II dans tout l’empire allemand (dont la région faisait partie à l’époque), ces chroniques rédigées par les instituteurs devaient rendre compte de tous les événements importants survenus chaque année dans l’école et dans le village. Un grand nombre d’entre elles ont été conservées et commencent à être mises en ligne. Exposé passionnant par un intervenant passionné de son sujet !!!
L’après-midi va être consacré au reflet de la Grande Guerre dans la littérature. C’est d’abord l’exposé de Philippe Lejeune sur « André Pézard, Nous autres à Vauquois : des carnets à l’œuvre littéraire ». André Pézard a rédigé ces/ses carnets pendant deux ans, d’août 1914 à septembre 1916, puis a fait tout un travail de réécriture pendant les deux années suivantes pour en tirer son livre publié en 1918 et dédicacé « À mes amis qui sont morts »... Dans ce texte, il ne parle ni de son passé antérieur à la guerre, ni de son métier d’officier ; mais il propose « une peinture raffinée, détaillée, de ses sensations » et surtout un hymne à l’amitié, « le véritable message de ce livre ». (On peut lire dans la FAR n° 66, pp. 4-7, le récit par Philippe Lejeune de son exploration des carnets d’André Pézard). Ulrich Ott évoque de son côté un roman d’Edlef Köppen paru en 1930, Heeresbericht (L’Ordre du jour). Par une technique de collage, Köppen insère dans la représentation réaliste des événements de la guerre, largement vécus par l’auteur lui-même, une foule de documents qui opposent, en contrepoint au destin du soldat Adolf Reisiger, la politique et la propagande guerrière. Le héros, observateur d’artillerie, constitue un témoin privilégié qui va évoluer vers un scepticisme croissant, sans aller jusqu’à la révolte. Parmi les textes intégrés au montage se trouvent aussi des poèmes d’Edlef Köppen critiquant la guerre, désormais présentés comme l’œuvre du soldat Reisiger...
Ayant dû quitter Strasbourg le dimanche en fin de journée, je n’ai pas pu faire la visite de la forteresse de Mutzig le lundi matin.
Et comme toujours, les Journées ont été pleines d’échanges et de contacts entre les Apaïstes de toute provenance, qui apprécient cette occasion annuelle de se rencontrer.

Compte rendu par Élizabeth Legros Chapuis

 Comme tous les ans, le thème des Journées est repris comme sujet du dossier de La Faute à Rousseau n° 67 d'octobre, à découvrir et à commander ici.