Note de lecture par Madeleine Rebaudières
Marie-Laure Las Vergnas : Dans la Tourmente de la Commune de Paris 1871. Mémoires d’une jeune femme destinés à l’enfant qu’elle a dû abandonner.
Mémoires vivantes du Canton de Quarre-les-Tombes, septembre 2024.
Ce fascicule de 48 pages développe le contexte du don effectué par Marie-Laure Las Vergnas cet été auprès de l'APA, sous le numéro APA 4331.
L’association Mémoires Vivantes du Canton de Quarre-les-Tombes a choisi de publier ce « document exceptionnel : le récit écrit par Jeanne Nicolet pour expliquer à son enfant pourquoi elle a été contrainte de l’abandonner. » Cet ouvrage entre dans le cadre des recherches et des conférences que Marie-Laure Las Vergnas donne sur les enfants assistés du Morvan depuis plus de vingt-cinq ans à la suite de la découverte du Journal de Mathieu Tamet, son arrière-grand-père, directeur de l’agence d’Avallon des enfants assistés de la Seine de 1896 à 1919 et maire d’Avallon de 1912 à 1919, qu’elle a retranscrit et mis en ligne (voir le site : www.mathieu-tamet.com).
Elle a déposé ce Journal (1910-1934) récemment à l’APA, sous le numéro APA 4325.
Sollicitée par une arrière-petite-fille de Maurice Louis Nicolet, abandonné à l’Assistance publique le 30 octobre 1871, elle découvre, dans son dossier d’abandon, aux Archives de Paris, une pépite : « dix grands feuillets couverts d’une écriture nette et serrée intitulés Mémoires d’une jeune femme ». Alors que le dossier d’admission de Maurice Louis Nicolet note que sa mère, Jeanne Claude Nicolet, a déclaré avoir été abandonnée par le père de l’enfant, « c’est une toute autre version que nous livre Jeanne Claude Nicolet dans ses Mémoires. »
On comprend que son compagnon, le père de l’enfant, était un communard et qu’elle ne pouvait pas en parler, car c’était se mettre en danger, elle et son enfant, l’heure étant aux exécutions et aux condamnations de nombreux communards (ou soupçonnés de l’être). Son compagnon Louis Bellevaux a en effet été arrêté le 19 juin 1871 à leur domicile, alors que, bien que capitaine dans la Garde nationale parisienne, il n’avait pas participé à la Semaine sanglante de mai. Mais il avait un passé de rébellion contre l’autorité se soldant par plusieurs séjours en prison et son recours en grâce lui sera refusé (bien que chargé de famille.)
« Commencé le 9 mai mil huit cent soixante-douze. Première Partie. » [la seconde partie sera écrite douze ans plus tard, le 28 juillet 1884, deux mois avant sa mort.] « J’avais commencé d’écrire tous les jours mes impressions, alors un jour fatiguée, un autre jour le temps manquait, j’ai fini par cesser d’écrire. Je vais donc résumer en quelques mots les choses les plus remarquables des événements qui ont suivi l’arrestation de Louis, qui a eu lieu le 19 juin 1871. »
Née en Haute-Saône en 1843, orpheline de père à 1 an, avec une mère manouvrière, Jeanne Nicolet accompagnait sa grand-mère qui demandait l’aumône de porte en porte (ainsi qu’elle l’évoque dans son récit). Cependant, elle est instruite et son écriture est très belle, comme calligraphiée (voir les photos du manuscrit dans le fascicule) et elle a une profession lorsqu’elle arrive à Paris en 1860 : « giletière-chapelière ».
Ce récit, d’une écriture que l’on dirait « blanche », est poignant, sa situation de misère est totale, avec le souci constant de nourrir l’enfant en premier. Il est destiné à être transmis à son enfant qu’elle est obligée de porter à l’Assistance publique pour qu’il ne meure pas de faim et à qui elle lègue ses petits trésors dont le dictionnaire Bescherelle en deux tomes… qu’elle a été obligée de déposer au Mont de piété. Elle n’a pas d’argent : « l’ouvrage manque absolument [...] je fus forcée de porter cet enfant (pour qu’il ne meure pas de faim) aux enfants assistés où je n’ai jamais manqué chaque trimestre d’aller chercher de ses nouvelles. Il est inscrit sous le numéro 39894, il se nomme Maurice Louis Nicolet. »
Elle prie Monsieur le Directeur de « faire parvenir à son fils ce manuscrit afin qu’il sache qu’il doit sa position à la misère des suites de la guerre (1870-1871) et non à l’abandon de sa mère. » Elle joint « le portrait de son père ». Son père, qui a été condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée. Il se nomme Louis Bellevaux. Le seul moment (1/4 d’heure) où la mère, le père et l’enfant ont été réunis c’est lorsqu’elle a pu, avec l’aide de sa patronne et voisine, rendre visite à Louis, emprisonné au camp de Satory. Elle avait passé la nuit à coudre une robe pour l’enfant de trois semaines.
Il ne semble pas que le manuscrit de Jeanne Nicolet ait été transmis à son enfant. Marie-Laure Las Vergnas a complété les informations sur la fin de vie de Jeanne Nicolet et reconstitué le parcours de Louis Bellevaux, qu’elle détaille sur une dizaine de pages, et enfin le devenir de l’enfant abandonné qui a été placé près de Liernais (21) où il a fait souche. Le fascicule contient des compléments historiques sur la Commune qui éclairent la condition de ce monde des ouvriers sans autres ressources que celles (maigres) de leur « ouvrage » (« quand on en trouve » !) et aucune sécurité en cas de problèmes de santé ou autres.