Les Éphémères
Spectacle à la Cartoucherie de Vincennes, printemps 2007. DVD Déjà, à la station de métro Château de Vincennes se joue un étrange ballet. Certains se pressent, portant coussins et bouteilles d’eau, se dirigeant d’un pas sûr vers la navette gratuite. Ce sont les fidèles. D’autres, inquiets cherchent l’autobus 112 qui va à la Cartoucherie, interrogent les passants. L’ouverture des portes se fait une heure avant le spectacle et les places ne sont pas numérotées. L’attente commence sous une bruine tenace et un vent glacial.
Qu’importe ! On sent l’excitation croître parmi les futurs spectateurs. Qu’est-ce qu’Ariane nous aura concocté cette fois-ci comme décor dès l’entrée ? (puisqu’à chaque spectacle, tout est repeint, chamboulé, reconstruit, à se demander si on est dans le même lieu). Forcément, entre habitués et ceux qui viennent pour la première fois, le dialogue se noue... A l’heure dite, toujours selon le rituel, Ariane elle-même ouvre la porte et déchire les billets. Première surprise : pour Les Éphémères, la scène n’est plus à sa place habituelle, les gradins sont devenus l’espace-bar. On entre dans une salle disposée à la manière de la Chambre des Communes à Londres, le public se fait donc face, assis derrière de hauts dosserets en bois qui arrivent à la hauteur du cou, percés de mille petites lumières, ces petits trous de serrure par lesquels nous allons jouer les voyeurs pour des scènes de l’intime. Le spectacle va pouvoir commencer, et cela pour deux fois trois heures et quart, autrement dit sept heures et demi de théâtre absolu !
Surgissent alors de gauche ou de droite des plateaux ronds actionnés par des comédiens qu’on va vite ne plus remarquer tant l’action est prenante. Sur les mini plateaux qui tournent et glissent devant nous, dans un décor extraordinaire, riche de superbes accessoires, les comédiens jouent des scènes de la vie quotidienne. Ici, une femme doit vendre sa maison et son jardin au décès de sa mère, l’acheteur, un tout jeune père vient signer avec le notaire, et c’est poignant. Là, une femme qui tient un café se souvient de son enfance, de son père violent, de sa mère battue. Un transsexuel, seul dans son salon, fête son anniversaire et un simple coup de téléphone nous fait comprendre son drame. Un couple de tailleurs juifs, avant-guerre quand tout était encore harmonieux, chante et joue du Schubert, leurs clientes sont installées sur le sofa, le futur mari de l’une d’elles a réussi, ô prouesse, à se procurer un petit bout d’organza.
On assiste à une fête de Noël où chacun se déchire, à une rentrée de fête foraine en Bretagne, les enfants endormis dans les bras des parents, un poisson rouge chacun dans un sac en plastique. Et beaucoup d’autres tableaux, certain se répondant dans le passé, certains, par des liens subtils représentant la suite de l’histoire. Les plateaux glissent devant les spectateurs représentant des salons bourgeois, une cuisine de ferme, un jardin, une chambre d’enfant, un hôpital, une plage avec du vrai sable et des enfants qui jouent... C’est la vie et certes, elle n’est pas drôle, même si l’on rit parfois. Tout y est : la maternité, le mariage, le divorce, la vieillesse, la mort. Mais, quoi, les gens heureux n’ont pas d’histoire, c’est bien connu. Le spectateur va d’émerveillement en émerveillement à cause de la perfection des comédiens et de l’inventivité du metteur en scène. Tranches de vie, éphémère bonheur d’un spectacle qu’on ne va pas oublier de sitôt.
par Sylvette Dupuy